On pourrait croire qu’avec une langue commune, la France et le Québec sont des cousins professionnels. Et pourtant, ces deux territoires séparés par l’Atlantique ont des manières bien différentes de faire des affaires. Si vous êtes Français et que vous pensez pouvoir débarquer à Montréal comme à Lyon, en mode « On verra bien », vous risquez quelques surprises. Petit tour d’horizon, version sans cravate et sans langue de bois, des différences culturelles qui peuvent vous sauver… ou vous faire couler.
1. Le Québec, ce n’est pas juste un « Canada en français »
Commençons par un scoop : un Québécois n’est ni un Français, ni un Canadien, ni un Américain. Il est… Québécois. Et ça change tout.
Selon Le Code Québec[1] (une sorte de guide de survie culturelle), environ un tiers des Québécois se sentent proches de la culture française, un autre tiers de la culture anglaise, et le reste de la culture américaine. Bref, c’est un beau melting-pot nordique sous une couche de sirop d’érable.
Même si on parle tous français, ne vous y trompez pas : le Québec est un univers à part. Son histoire, sa géographie, son climat et surtout sa mentalité, font de cette province un territoire pas toujours facile à décoder pour un Européen même francophone fraîchement débarqué.
Et non, le Canada n’est pas un gros bloc homogène. Il y a 10 provinces et 3 territoires, chacun avec ses petites manies et ses grandes différences.
Alors avant de vous lancer tête baissée dans une implantation au Québec, prenez un moment pour comprendre la culture locale. Sinon, gare aux malentendus et aux gaffes bien senties.
2. Diplômes, hiérarchie et café filtre
En France : « Tu viens de quelle école, déjà ? »
Chez nous, en France, on aime les titres. Et surtout, on adore les diplômes. Polytechnique, HEC, Sciences Po : plus votre CV brille, plus votre aura professionnelle monte en flèche. Et ne parlons pas de la hiérarchie : elle est aussi rigide qu’un protocole présidentiel. Le patron est le patron, point barre.
Dans les réunions, on débat, on théorise, on conceptualise. On peut passer deux heures à discuter d’une idée avant d’envisager de la mettre en pratique. Et même dans le boulot, l’art de vivre n’est jamais très loin : déjeuner en terrasse, pause-café à rallonge, pot de départ avec du bon vin… on ne plaisante pas avec ça.
Au Québec : « C’est quoi ton plan concret ? »
Au Québec, on vous écoutera poliment parler de vos brillantes études… mais ça n’impressionne pas grand monde. Ce qui compte, c’est ce que vous faites. Votre efficacité. Vos résultats. Bref : le concret, pas les grandes théories.
La hiérarchie existe, mais elle est plus cool. Le boss n’est pas un demi-dieu inaccessible, et vous pouvez (souvent) lui parler comme à un collègue. L’ambiance est consensuelle, le travail d’équipe valorisé, et le leadership s’appuie davantage sur les compétences que sur le titre sur la carte de visite.
Côté ambiance ? Moins de blabla, plus de clarté. On aime aller droit au but, en évitant le superflu. Et non, une pause déjeuner d’1h30 pour discuter de Kant ou du dernier film d’auteur français n’est pas vraiment dans les mœurs…
3. Travail : Pain au chocolat vs sandwich triangle
Les habitudes au bureau sont une autre planète.
En France, on commence la journée tranquillou vers 9h30 (voire plus), et on peut finir à 19h sans trop s’affoler. Le repas de midi ? Sacré. Il dure, il s’étire, il se commente. Un déjeuner d’affaires peut s’éterniser, surtout s’il est bon.
Au Québec ? Le lunch, c’est vite fait bien fait. Un sandwich, un café, et hop, on retourne bosser. La journée commence à 8h ou 9h pétantes, et à 17h, c’est fini. Fini fini. Chacun rentre chez soi, va faire du sport, s’occuper des enfants ou pelleter la neige (selon la saison).
Et si un Français pense marquer des points en restant tard au bureau ? Mauvaise pioche. Ici, on appelle ça du présentéisme. Et ce n’est pas vu d’un bon œil. Travailler plus longtemps ne veut pas dire travailler mieux. Les Québécois valorisent l’efficacité et l’équilibre vie pro / vie perso. Et ils ont certainement raison.
4. Le social au bureau, deux ambiances
En France, le bureau est un petit théâtre social. On y fait des amis, on débat à la machine à café, on parle politique, ciné, météo… Parfois même, on bosse. Le travail, c’est aussi un lieu de vie.
Au Québec ? Le travail, c’est… le travail. On vient, on bosse, on repart. On peut créer des liens, mais ce n’est pas une priorité. Et les « politesses de couloir » type « Comment tu vas ? » alors qu’on ne veut pas vraiment savoir ? Très peu pour eux. L’authenticité avant tout.
Dans les mails[2], même ton : on fait court, clair et direct. Pas de longs préambules, pas de salamalecs. Un sujet, un verbe, un complément, et c’est plié.
5. L’art d’être à l’heure… ou pas
Les Français ont une relation un peu libre avec la ponctualité. Un petit quart d’heure de retard ? Ce n’est pas bien grave, c’est même presque attendu.
Mais attention ! Au Québec, être en retard à un rendez-vous pro, c’est mal vu. Très mal vu. Si vous avez un meeting à 14h, soyez là à 13h55. Pas de « fashionably late » ici. Même 5 minutes de retard peuvent vous coûter un contrat.
6. Argent, franglais et francophonie
Le nerf de la guerre ? L’argent, bien sûr. En France, c’est parfois tabou. On évite de parler salaire, chiffre d’affaires ou tarifs comme s’il s’agissait de secrets d’état. Au Québec ? On parle « cash ». C’est normal, c’est sain, c’est pro. Mettez-vous à l’aise !
Ah, et le franglais. Les Français adorent saupoudrer leur discours de termes anglais (« benchmark », « deadline », « feedback »), même s’ils les utilisent de travers. Les Québécois, eux, tiennent à leur français bien à eux. Ils n’hésitent pas à vous reprendre si vous massacrez leur belle langue. Ne le prenez pas mal : c’est une preuve de fierté linguistique, pas une attaque personnelle.
En résumé : deux cultures, deux manières de faire
Faire des affaires en France ou au Québec, ce n’est pas le même jeu. L’un aime le débat, l’autre le pragmatisme. L’un valorise la hiérarchie, l’autre préfère la compétence. Et entre un déjeuner de deux heures et un sandwich en 20 minutes, il y a tout un monde.
Alors si vous voulez réussir au Québec, faites-vous accompagner par les locaux qui ont la double culture et n’oubliez pas votre petit kit de survie :
- Soyez ponctuel (vraiment).
- Soyez direct, mais poli.
- Parlez d’argent sans rougir.
- Restez humble, même si vous venez d’une grande école.
- Et surtout, prenez le temps de comprendre la culture locale.
Le Québec n’attend pas qu’on l’imite, mais qu’on le respecte. Et c’est bien là la clé du succès.
[1] Jean-Marc Léger, Jacques Nantel, Pierre Duhamel (2016), Le Code Québec, Les Editions de l’Homme, page 23
[2] Courriels en québécois